Par Olivier Gélinas, Analyste Financier, Contributeur pour DayTrader Canada
Cette semaine, nous laisserons de côté les débâcles des politiques fiscales et monétaires de la Banque d’Angleterre, et nous observerons plutôt les développements de la grande banque d’investissement Crédit Suisse (SWX : CSGN). En soi, aucun évènement spécifique ne s’est déroulé dernièrement. Toutefois, les investisseurs ont été nombreux à être témoin de la perte de valeur du titre. Il n’en faut évidemment pas moins pour que des adeptes creusent davantage dans les états financiers de la banque native de Zurich, afin de trouver les enjeux réels.
Un rapide coup d’œil au cours boursier de Crédit Suisse fait état de la perte de 58% depuis le début de l’année. Il est vrai que l’économie dans son ensemble, n’est pas reluisante, toutefois, le titre a également reculé de près de 75% dans les dernières 5 années, alors que les autres grandes banques de ce monde ont enregistré une progression notable. Maintenant tout juste sous la barre des 4 francs suisses par action, celle-ci se trouvait au-dessus de 9 francs en janvier 2022.
Outre le prix de l’action elle-même, l’autre source alimentant la peur des investisseurs est le taux CDS sur les obligations de Crédit Suisse. Le taux CDS, ou Credit Default Swap, est un produit dérivé utilisé dans le monde financier afin de se protéger sur le défaut d’une obligation. L’acheteur de CDS désire se protéger d’un éventuel défaut, et le vendeur récupère en contrepartie la prime payée par l’acheteur, bien souvent, un pourcentage du montant nominal de protection. Avec cette définition simplifiée, plus le taux CDS est élevé, plus le risque de défaut est élevé. Les investisseurs ont été en mesure de voir ce taux à son plus haut depuis une dizaine d’années, précédemment observé sur les obligations de Morgan Stanley en 2011-2012. Le taux CDS implicite fait état de 23% de chance de défaut sur les obligations 5 ans de la banque en eaux troubles. Ces taux et prix rarement observés ont bien entendu attiré les spéculateurs, n’aidant guère la cause de la société.
Ces quelques drapeaux rouges ont poussé les dirigeants de Crédit Suisse à répondre au grand public afin de ralentir la peur sur leur solvabilité. Le dirigeant Ulrich Koerner, en poste depuis juillet cette année, a tenté vendredi dernier de réassurer employés et investisseurs quant aux circonstances moins qu’idéales. Via un mémo, M. Koerner a fait les éloges des liquidités disponibles de la banque et de sa position en capital forte sur les marchés. Il est vrai qu’en date de juillet 2022, les états financiers de Crédit Suisse présentaient des liquidités de 159.47 millions de francs suisses, position qui est alignée avec les trimestres précédents. Le mémo fait également mention qu’un plan stratégique a été développé afin de remettre les activités de Crédit Suisse en ordre, et que ce plan sera détaillé à la fin octobre, lors du dévoilement de leurs résultats trimestriels de Q3.
Il est d’autant plus intéressant que de voir le ratio de CET 1, ou Common-Equity Tier 1, demeure adéquat selon les normes et régulations européennes et internationales. Ce ratio mesure entre autres la capitalisation liquide des institutions financières. Quoiqu’il existe plusieurs autres ratios de nature législative, le CET 1 est celui couvrant le plus près les postes de liquidités. Ce ratio se tenait à 13.5% en juillet 2022, alors que les normes internationales demandent 8%, et le régulateur suisse requiert 10%.
Ce plan de restructuration pourrait notamment prévoir la redirection des activités vers des avenues dites, capital-light, soit des activités requérant peu de capital règlementaire à conserver en réserve, ou encore, simplement la vente de certains segments d’affaires, soit la gestion de patrimoine en Amérique latine.
Ne surprenant personne, les investisseurs et internautes ont été rapides à effectuer le parallèle avec la défunte banque Lehman Brothers, au cœur de la crise des subprimes en 2007 et 2008. La baisse rapide du cours de l’action, la hausse des taux CDS, l’anxiété des marchés, une crise de l’immobilier, une tentative de vente de certains actifs, bref, tout y est et réplique ce que Lehman Brothers a subi en 2008.
Il existe cependant une différence majeure aujourd’hui entre Lehman Brothers et Crédit Suisse : Crédit Suisse ne vend pas de produit fondamentalement lacunaire, du moins, pas à notre connaissance actuelle. Il est à se rappeler que la descente en flammes de Lehman Brothers, propulsé par la faillite elle-même de Bear Sterns, provient majoritairement de la vente de CDO, ou Collaterized Debt Obligations et MBS ou Mortgage Backed-Securities. La vente de ces produits faisait suite à un boom immobilier majeur dans l’économie canadienne et américaine. Toutefois, ces produits étaient vendus avec un profil de risque peu élevé avec un risque de crédit plutôt faible, alors que la composition réelle de ces fonds pointait clairement vers l’autre direction. D’ailleurs, plusieurs ratios de solvabilité et législations existent aujourd’hui en réponse à ces produits et évènements, afin de protéger les consommateurs.
Source: Tradingview – Stock performance, NYSE: JPM, NYSE:RY, NYSE:TD, NYSE: BAC, SIX:CSGN 2006-01 à 2022-07 |
La performance de la majorité des grandes banques de ce monde a fait preuve beaucoup de résilience et d’innovation depuis la disparition de Lehman Brothers en 2008. JP Morgan Chase (NYSE :JPM) a engrangé une performance de 171% depuis 2006, la Toronto-Dominion (TSX :TD) 138% et la Banque Royale du Canada (TSX :RY) 135%. Bank of America (NYSE :BAC) a cependant eu plus de difficulté à se relever de cette crise, tout comme Crédit Suisse.
Il faudra donc attendre la présentation du plan de redressement de Crédit Suisse à la fin octobre avant de lancer d’avantages de rumeurs. Crédit Suisse est a été identifié par plusieurs analystes comme une entité ‘’too big to fail’’, et il est possible que la société ne soit que dans une impasse par rapport au cycle économique. Cela n’empêche toutefois pas les adeptes de propager des scénarios de désastres et de risques systémiques, aussi farfelus soient-ils… ou pas.
Sources:
https://www.morningstar.ca/ca/news/227076/why-is-credit-suisse-under-pressure.aspx
https://www.cbc.ca/news/business/credit-suisse-1.6603864
L’auteur de ce billet déclare ne détenir aucune position dans les titres mentionnés ni avoir l’intention d’initier de positions dans les 72 prochaines heures. Cet article est une opinion et ne doit en aucun temps être considéré comme un conseil en investissement.
Le contenu de ce billet, les données financières et économiques incluant les cotes boursières ainsi que toutes analyses et interprétations de celles-ci sont fournies à titre d’information seulement et en aucun cas ne doivent être considérées comme étant une recommandation ou un conseil d’acheter, de vendre, de vendre à découvert ou poser tout autre acte envers toute valeur mobilière, tout instrument dérivé ou tout actif ou classe d’actif quelconque.
L’investissement autonome actif devrait être considéré comme une activité de nature spéculative qui peut comporter des risques importants pouvant entraîner des pertes significatives en capital. Un investisseur autonome actif se doit d’avoir une compréhension de sa tolérance au risque et de ses objectifs d’investissement avant de considérer l’investissement autonome actif comme activité.
DayTrader Canada et les membres de son équipe ainsi que les collaborateurs externes ne peuvent donner aucune garantie ni assurance que les transactions boursières effectuées par ses lecteurs ou clients seront profitables. De plus, les membres de l’équipe de DayTrader Canada, ses formateurs et les collaborateurs externes, ne donneront, en aucun cas durant des formations ou toutes autres activités, des recommandations d’achat ou de vente sur des instruments financiers en particulier.
DayTrader Canada, ses administrateurs, dirigeants, employés et mandataires ne seront aucunement responsables des dommages, pertes ou frais encourus à la suite de la mise en application des notions apprises dans ses formations et/ou de l’utilisation de ses services.